10 janvier 2017

Paterson

Vu Paterson un lundi après-midi au cinéma.
C’était une très très belle expérience de dialogue entre un réalisateur et un spectateur ; car nous serons probablement nombreux à avoir eu l’impression d’avoir vu un film qui ne s’adressait qu’à soi, directement, comme si Jarmusch avait fait son film rien que pour nous. Ce qui donne un très bel écho à pas mal de choses que j’ai lues au sujet de ce film, citant notamment David Shapiro -qui fût prof de poésie du réalisateur- lorsque celui-ci décrivait cette manière de donner l’impression de rendre unique le lien en devenir dirigé vers le lecteur d’un de ses poèmes.
Quels ingrédients miracles faut-il donc réunir pour que cette sauce prenne ? Vite, en vrac, pour ne pas les oublier : d’abord, évidemment, William Carlos Williams, et ce que représente William Carlos Williams, parce que ça n’arrivera pas tous les jours qu’un des plus beaux films vus ces derniers mois repose en grande partie sur le genre de miracles provoqués par la présence de cet auteur essentiel : le personnage central peaufine ses poèmes en bossant, puis les écrit durant les pauses ; une fillette qui écrit et qui évoque Emily Dickinson lors d’un bref échange ; Method Man affûtant ses seize dans une laverie automatique. Tout cela, ce sont déjà des manières de recontextualiser l’objet poésie de la manière dont on devrait normalement le percevoir : pas dans les recommandations mortifères des académiciens d’un autre âge, mais bien partout, dans toutes les infra-couches du quotidien, à n’importe quel âge, selon zéro critères de sélection socio-culturelle. La petite jumelle, Paterson lui-même, Cliff Smith/Method Man illustrent déjà tout cela, et on peut également trouver le même élan dans les échanges entre Paterson et son chef de service ou avec ce touriste japonais, entre autres.
Et puis aussi, donc : d’incessants aller-retours entre Jarmusch et son spectateur, donc, voyant le réalisateur tester plus souvent qu’à son tour (avec délicatesse toutefois) la solidité du quatrième mur, sur quelques dialogues aussi marquants dans leur délicatesse (les mots de Paterson, la manière dont ils sont agencés tout comme la manière dont ils sont lus), ou bien des mises en abîme plutôt drôles (l’un : "Tu devrais être acteur !" l’autre : "Je suis acteur !").
Adam Driver est très bien. Jarmusch excelle sur les dialogues. Sa caméra -ou son chef-op- se pose parfois de manière innatendue et c'est chouette d'être surpris par ce type après toutes ces années. Tout le monde est bien, juste. Mis à part la cabotineuse Golshifteh Farahani qui n’en finit plus de cabotiner, est-ce qu’il y a un seul truc négatif à dire du dernier Jarmusch ?



Quel beau, quel bon film.

 

Aucun commentaire: